Être dans la moyenne n’est pas normal

Est-il nécessaire que les enfants apprennent tous à lire au même âge?

Est-ce qu'un enfant qui apprend à lire plus tard lira forcément moins que les autres?

Dans cet article, Foss Tighe, père d'enfants scolarisés à la Sudbury Valley School (SVS), partage ce qu'il a observé chez sa fille et une de ses amies concernant la lecture. Il nous parle de l'absurdité de vouloir faire correspondre une étape dans l'apprentissage à une moyenne d'âge.

Je remercie la Sudbury Valley School de m’avoir autorisée à publier la traduction de cet article sur ce blog (lien vers l'article original).

Photo : Sudbury Valley School

Photo : Sudbury Valley School

Cori, ma fille aînée, et Kali, une de ses amies proches à SVS, mènent un débat afin de déterminer laquelle d’entre elles lit le plus de livres. Ce débat dure maintenant depuis si longtemps que, pour Noël, leurs amies leur ont offert à chacune une tasse affichant leurs arguments respectifs. Elles lisent toutes les deux beaucoup. Cela n’est pas étonnant, car beaucoup d’élèves de SVS sont des lecteurs avides. Une de mes nièces, diplômée de SVS il y a bientôt 10 ans, lit beaucoup. Mon beau-frère, diplômé de SVS il y a plus de 40 ans, a encore aujourd’hui toujours un livre en main. Il n’est pas nécessaire d’avoir reçu des devoirs de lecture de la part de profs d’anglais, d’histoire ou d’art. Poussés par leurs propres intérêts et leur curiosité, les enfants vont trouver des livres à lire. En fait, je pense qu’il est assez évident que lorsque des professeurs imposent quels livres lire, et bien souvent aussi le rythme auquel il faut les lire, ceci a un impact négatif sur l’intérêt de l’enfant pour la lecture.

À la dernière réunion parents-profs de la classe de ma fille cadette Holly, lorsque celle-ci était encore à l’école publique, l’enseignante m’expliquait qu’elle était un peu inquiète à propos du niveau de lecture de Holly. Elle disait qu’à ce moment de l’année, Holly aurait dû être au niveau « K », mais qu’elle était actuellement seulement au niveau « J ». J’étais mal à l’aise avec ça à l’époque, mais il m’a fallu un certain temps avant de comprendre pourquoi. Durant la plus grande partie de ma carrière, j’ai travaillé dans la recherche médicale et sociale. Au coeur de l’analyse statistique utilisée dans ces domaines figure l’idée que la mesure de la plupart des phénomènes sociaux et médicaux peuvent être représentés selon une « distribution normale ». Pour n’importe quelle collection de données normalement distribuée, une déviation standard peut être calculée. Celle-ci divise la distribution normale de telle sorte que 68 % des données se situent dans 1 déviation standard de la moyenne, et 95 % des données dans les 2 déviations standards de la moyenne. Le message important à retenir ici est que lorsque l’on mesure n’importe quoi dans le monde social ou scientifique où un certain degré de variation est attendu, il sera « normal » pour la plupart des données d’être différentes de la moyenne. Environ 30 % sera à quelque distance de la moyenne et 5 % sera plutôt loin de la moyenne, et c’est la définition de la « distribution normale » ! Donc pour quasiment tout ce que nous observons, il est normal pour 5 % (ou l’équivalent de 1 sur 20) d’être « loin » de la moyenne.

 
Distribution normale – Photo tirée du blog de la Sudbury Valley School

Distribution normale – Photo tirée du blog de la Sudbury Valley School

 

Le Système de lecture guidé Fountas-Pinnell (NdT : méthode d’apprentissage de la lecture) utilise une échelle de A à Z pour diviser les niveaux attendus de lecture en 26 niveaux, de la maternelle au CM2. À chaque niveau du parcours scolaire, il est attendu des enfants qu’ils progressent sur de multiples niveaux au sein de ce système. Une recherche rapide sur Google montre que si certains enfants apprennent à lire à 4 ans, la plupart vont apprendre à 7 ans, et certains ne vont pas lire avant d’être encore plus âgés. Pour moi, cela indique que la distribution normale de la lecture survient sur plusieurs années, et non pas sur plusieurs semaines. Suggérer qu’un élève ne remplit pas les attentes car il ne progresse pas d’un niveau de lecture à un autre sur une semaine précise de son année scolaire n’est pas « normal ».

Cori, maintenant âgée de 17 ans, a été une lectrice avide depuis un très jeune âge. Alors que Kali, maintenant âgée de 13 ans, a appris à lire plus tard. Sa mère a écrit un article de blog (traduit ici) où elle décrivait comment une de ses filles jumelles commençait à lire tandis que l’autre, Kali, avait choisi d’attendre. Je trouve cela inspirant de voir que Cori, qui lit depuis 10 ans, et Kali, qui lit vraiment depuis seulement 4 ans probablement, sont maintenant en train de se faire concurrence pour le titre de « qui lit le plus » . Cela montre que le chemin vers le succès peut être unique pour chaque enfant. Aucun chemin n’est supérieur à un autre.

Les enfants n’ont pas besoin d’être soumis à la tyrannie de la moyenne. Ce n’est pas parce que l’on peut calculer l’âge moyen auquel un groupe d’enfants accomplit une certaine compétence de lecture qu’il est sage d’essayer de forcer tous les enfants à se conformer à cette moyenne. Les moyennes sont des constructions mathématiques et ne devraient pas servir d’indicateur moral.

Pour des raisons de paix familiales, je ne donnerai pas mon avis sur le débat de «  Qui Lit Le Plus » entre Cori et Kali. Mais je sais qu’elles lisent toutes les deux beaucoup, bien plus que moi à leur âge.