Et l'autonomie ?

Dans les écoles traditionnelles, l’« autonomie » est dans toutes les bouches. Que ce soient de jeunes enseignants qui mettent tout en œuvre pour développer un maximum l’autonomie de leurs élèves, ou des enseignants qui se plaignent que leurs élèves ne sont pas autonomes et que « vu leur âge, c’est inadmissible », tout le monde se préoccupe du développement de l’autonomie des enfants et adolescents.

J’ai été professeure des écoles pendant un an, dans une classe de CM1-CM2, puis ayant fait un stage de 4 semaines à l'École Sudbury Lilloise, je me suis questionnée sur l’autonomie en comparant avec mon expérience : comment les élèves peuvent développer leur autonomie alors que personne n’est là pour leur apprendre comment faire?

Avant de commencer à parler du développement de l’autonomie, il est important de se mettre d’accord sur une définition claire. Une des définitions de l’autonomie estalors «la capacité de répondre à ses propres besoins, de prendre et d’assumer ses décisions, tout en tenant compte de son entourage et de son environnement. »

 
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L’autonomie dans les écoles traditionnelles

Comme le dit Philippe MEIRIEU dans son article sur l’autonomie, « à regarder de près les pratiques scolaires et les comportements des élèves, on découvre que, en réalité, ce n’est pas l’autonomie qui est développée mais bien plutôt quelque chose comme la débrouillardise ». En effet il remarque que les élèves, en grande majorité, font tout pour faire le moins d’efforts possibles. Pourquoi travailler pour un contrôle en visant le 20 alors qu’une moyenne de 10 suffit à passer à la classe supérieure ?

Avec un système comme celui-ci, les élèves ne se sentent pas obligés ou pressés d’apprendre à être autonome, n’ayant pas vraiment l’envie non plus. Avec un investissement minimum et en suivant à peu près les consignes des professeurs, les élèves peuvent très bien réussir leur scolarité, sans avoir eu besoin de prendre des initiatives et des décisions importantes.

Si je reprends la définition de départ, l’autonomie c’est aussi « prendre et assumer ses décisions ». Or, dans une école traditionnelle, un élève n’a presque jamais à prendre de décisions importantes, ni, souvent, d’en assumer les conséquences. Dans ce type d’école, ce sont les adultes qui prennent la décision à la place des élèves sur les activités à faire et très souvent sur la manière de les faire. Les élèves se retrouvent alors dénués de toute responsabilité individuelle et ne font donc que rarement de choix importants. Quand ils se retrouvent face à une situation où l’adulte ne peut pas prendre de décisions à sa place, comme un choix de métier ou des choix plus simples comme la manière de faire une présentation d’un exposé, les élèves se retrouvent souvent perdus et il peut être très difficile pour eux de prendre une décision par eux-même.

 
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À l’école traditionnelle : mon expérience

J’avais moi-même remarqué en tant que professeure des écoles avec une classe de CM1-CM2, que les élèves étaient très peu autonomes. Dès qu’ils finissaient un travail, ils venaient me voir pour me demander ce qu’ils pouvaient faire comme activité suivante. Beaucoup d’élèves demandaient encore si après avoir fini une page, ils avaient le droit de la tourner et d’écrire au verso. Ce n’était pas de leur faute s’ils agissaient comme ça ; ils s’adaptaient à un système où ils devaient suivre des instructions précises. En l’absence de celles-ci, ils étaient perdus.

De plus, si je ne leur disais pas d’apprendre un chapitre, ils ne l’apprenaient que très rarement. Si, par malheur, dans une évaluation, je posais une question un peu en dehors du cours qui faisait appel à de la logique simple et un peu de réflexion, la plupart des élèves étaient perdus et en colère contre moi, se sentant trahis. Il ne leur venait pas à l’esprit de faire des petites recherches sur le sujet ou de me poser des questions en cours… et je les comprends. Pourquoi perdre du temps à apprendre et chercher quelque chose que le professeur ne demande pas ? Parce que malgré tous mes efforts, mes méthodes modernes apprises en formation et ma volonté,l’autonomie de mes élèves ne se développait pas pour autant.

Et à l’École Sudbury ?

Alors on peut se demander ; est-ce qu’une école comme l’ESL aide à développer l’autonomie chez les élèves ? Ici, les élèves sont libres ; pas de contraintes, pas d’obligations, pas d'attente des adultes sur un comportement à suivre. Dans la limite du règlement, ils n’ont aucun compte à rendre à personne.

Cette liberté peut inquiéter les professeurs des écoles traditionnelles, ainsi que les parents car souvent ils demandent « comment les enfants peuvent développer leur autonomie si on ne les aide pas à y parvenir ? ». Mais penser comme cela, c’est peut-être penser le problème à l’envers. Les élèves construisent une certaine autonomie car les adultes ne sont justement pas derrière eux pour leur dire quoi faire, ni leur suggérer une activité. De cette manière, l’enfant ou l’adolescent est face à lui-même, ses choix et ses envies. Il est libre de prendre ses propres décisions, de faire des erreurs, et d’apprendre par celles-ci.

 
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Si une activité ou un thème suscite en lui un intérêt profond, l’élève prendra l’initiative d’y concentrer une grande attention. Être responsable de son instruction, de son parcours, cela permet aussi à chacun de faire les choses à son rythme. C'est ainsi que l'on peut apprendre à se prendre en charge, et être ainsi le plus autonome dans la poursuite de ses objectifs personnels. Ici il n’est pas question de minimum d’effort, car personne n’attend de résultats, seul le jugement de l’élève sur son travail, sur son activité importe. S’il estime que son travail a besoin de beaucoup ou peu d’investissement personnel, libre à lui de choisir.

Enfin, les élèves sont libres dans leur journée et face à leur avenir. Les choix qu’ils prennent sont alors purement motivés intrinsèquement et leur autonomie se voit développée. Cette liberté peut contribuer à leur bonheur car cela développe leur confiance en eux et entraîne le sentiment de contrôler leur vie et leur futur.

Des exemples

Depuis l’ouverture de l’école, plusieurs élèves ont proposé des projets au Conseil d’École (événements, matériel de bricolage, instrument de musique, etc.). Cependant, certains de ces élèves n’ont pas réussi à porter leur projet jusqu’au bout pour diverses raisons, que ce soit à cause d’une difficulté ou d’un manque de motivation. Le Conseil d’École pose des questions sur le projet de l’élève et le critique de manière constructive, ce qui peut parfois freiner la motivation de l’élève, ou au contraire l’accélérer. C’est à l’élève de défendre et de porter son projet du début à la fin, en étant acteur de celui-ci. C’est cela qui va développer son autonomie.

Certains attendent, peut-être sans s’en rendre compte, que les adultes prennent le relais et/ou poussent les concernés à continuer le projet. Mais ce n’est pas le principe ici, où chacun doit prendre ses responsabilités. Si un élève veut vraiment faire quelque chose, il se donnera les moyens d’y arriver et surmontera les obstacles dont il fera face. Les adultes sont disponibles pour répondre aux demandes d’aide de l’élève, mais pas pour se substituer à lui.

Par exemple, une élève a voulu faire un exposé sur les léopards. Elle a donc, pendant une semaine, fait des recherches approfondies et un affichage visuel pour une présentation devant les personnes qui étaient intéressées. Nul doute que cette élève n’aurait probablement pas fait ça avec autant de sérieux et d’enthousiasme si un professeur lui avait demandé de faire un exposé sur un sujet qui l’intéressait moins pour au final avoir une note. Cela pose la question de la motivation à aller au bout de ses idées.

 
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Comme dit précédemment, la motivation intrinsèque est plus forte qu’une motivation pour avoir une simple bonne note. L’autonomie se développe plus facilement et plus rapidement grâce à une motivation intrinsèque.

Un autre exemple que j’ai pu observer pendant mes 4 semaines de stage à l’école Sudbury Lilloise, c’est la création d’un petit film par 4 élèves de 6 à 11 ans sur une tablette. Elles ont toutes décidé du thème et de la mise en scène, sans contraintes de la part d’adultes. La tâche a duré une demie journée entre les décisions à prendre sur la mise en scène, les rôles à distribuer, le tournage à effectuer et le montage à faire (suppression de scènes jugées ratées). Elles recommençaient plusieurs fois quelques scènes jusqu’à ce que toutes soient satisfaites de celles-ci. Elles s’appliquaient à être bonne actrices ; à ne pas rire devant la caméra ni la regarder et à effectuer des cascades de la manière la plus réaliste possible sans se faire mal. Celle qui filmait était précise dans son travail, en suivant l’action correctement et en obtenant une image stable.

Une fois le film terminé, elles étaient fières de le montrer aux adultes et tout autre élève voulant le voir. Les élèves avaient aménagé la salle de jeu avec des coussins pour s’asseoir et avait préparé quelques phrases pour présenter leur film. C’était un projet porté en totale autonomie, entre les 4 élèves. Elles ont pris la décision de créer un film, se sont mis d’accord sur les acteurs et le caméraman/réalisateur, puis sur les scènes gardées ou coupées.

Ces exemples ne sont pas rares, comme par exemple letournoi de Babyfoot ou un spectacle de danse, organisé en toute autonomie, que ce soit le choix de la musique, la chorégraphie ou l'organisation du spectacle.

 
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Ici, les élèves développent leur autonomie tous les jours, grâce à des petites actions répétées ou des plus grands évènements, comme ceux cités.

Au final…

De mon expérience et mes observations, j’ai remarqué qu’à l’ESL, les élèves développaient plus facilement leur autonomie comparé à ce que j’ai pu voir en tant que professeur. La liberté dont disposent les enfants leur permet de s’épanouir pleinement. Et pour moi il n’y a plus de doutes sur ce type d’école, concernant leur efficacité à aider les élèves à devenir des adultes autonomes et responsables.